Plaidoyer pour une amitié durable.
Mon horoscope1 de Courrier International cette semaine commençait ainsi :
« Tout n’est pas censé devenir beau et durable. Et tout le monde ne sera pas là éternellement ».
L’horoscope de Rob Brezsny
Il s’agissait du condensé d’une citation de la poétesse américaine Emery Allen.
Intriguée et déstabilisée, j’ai cherché. Cette citation la voici :
« Not everything is supposed to become something beautiful and long-lasting. Sometimes people come into your life to show you what is right and what is wrong, to show you who you can be, to teach you to love yourself, to make you feel better for a little while, or to just be someone to walk with at night and spill your life to. Not everyone is going to stay forever, and we still have to keep on going and thank them for what they’ve given us« .
Emery Allen.
Proposition de traduction maison (si vous avez d’autres alternatives, envoyez-les moi par mail, je suis preneuse) :
« Tout n’est pas censé devenir beau et durable. Parfois, les gens entrent dans votre vie pour vous montrer ce qui va et ce qui ne va pas, pour vous montrer qui vous pouvez être, pour vous apprendre à vous aimer, pour vous faire sentir mieux pendant un petit moment ou seulement pour être la personne avec qui marcher la nuit et à qui dévoiler votre vie. Tout le monde ne sera pas là éternellement, et nous devons continuer à avancer et les remercier pour ce qu’ils nous auront donné« .
D’accord pour les mouchoirs. A fortiori en papier. Ou les couvercles des boîtes : on finit toujours par perdre l’un ou l’autre. Mais les gens ? Cette idée de gens qui entreraient dans nos vies pour en ressortir presque aussitôt, une fois leur « mission » accomplie est délicate : cela signifie qu’il ne faudrait plus éprouver de sentiments pour quiconque afin de s’éviter la phase triste/cœur en miettes à la fin? comment se réjouir du départ d’une personne appréciée ? Comment le vivre ? Avec résignation ?
L’apprentissage tel qu’envisagé par Emery Allen peut-il palier toutes les autres déconvenues liées au « départ » ? Au-delà de l’attachement dans sa dimension toxique, qu’en est-il de cette personne avec qui marcher la nuit et à qui on dévoile facilement sa vie : est-ce forcément éphémère ? Pourquoi cela ne pourrait-il pas devenir durable ? Et quid de ces relations amicales qui vous guident vous apaisent et vous recadrent, au fil des ans ? Voilà donc qui m’interroge…
Ce qui est très drôle et d’autant plus formidable c’est que chacun de mes Mousquetaires s’est manifesté la même semaine, de manière… inattendue et forcément non concertée !
Priorité à l’ancienneté.
J’ai rencontré Lise et Claire sur les bancs de l’université. Je pense que nous ne pouvions par trouver plus différentes que nous 3, à commencer par nos physiques : une grande blonde, une moyenne très brune aux cheveux très bouclés, une pas très grande plutôt châtain aux cheveux raides. Nous venions de milieux différents, de trois départements différents, d’études secondaires différentes et Lise faisait sciences-po droit alors que Claire et moi avions opté pour sciences-po histoire.
Pourtant, je crois que nous sommes devenues amies très vite. C’était il y a plus de 16 ans… De TD en exposés, de cours magistraux en galères de BU, de concours en premiers jobs, notre amitié a évolué. Elle a grandi avec nous. Ce sont mes plus « vieilles » amies.
Quand j’ai besoin d’un avis objectif, je m’en remets à Lise. Je lui fais confiance pour ça, pour son honnêteté. Je l’aime pour sa franchise, en plus de tout le reste. A l’heure où tant de gens mentent, dissimulent et entourloupent, Lise est vraie, Lise dit les choses.
Claire est brillante et sous ses airs angéliques, se cache un pitre ! Elle est incroyable de résilience, de courage et de force. C’est un modèle, un roc. Je voudrais lui offrir une cape d’invisibilité, un asile de répit.
Laure est un autre de mes Mousquetaires. Avec Laure, nous fêtons non cette année nos 10 ans d’amitié.Nous nous sommes rencontrées dans le cadre professionnel : on m’a présenté à Laure le premier jour de mon arrivée, dans mon nouveau poste à la mairie de XX. L’une des seules choses que nous partageons avec Laure, en plus de nos valeurs, c’est son homonymie avec une branche de ma famille maternelle. Laure est tout ce que je ne suis pas : elle est organisée, économe, prévoyante, mère de famille. Si l’on s’en tient à la règle « de tout ce qui se ressemble s’assemble », Laure et moi n’aurions pas forcément dues être amies. Sauf que Laure et moi partageons un goût immodéré pour quatre choses :
les livres, les voyages, la nourriture et les bonnes choses en règle générale. Finalement les livres rentrent aussi dans cette dernière catégorie !

Avec les Mousquetaires, les années ont passé : des directions opposées, professionnellement et géographiquement.
Improbables au départ, nos amitiés se renforcent au fil du temps. Nous échangeons plus ou moins régulièrement autour des livres, autour de la nourriture, sur nos thématiques professionnelles également, parfois sur des sujets plus délicats ou graves parfois sur des sujets plus légers. Quoi qu’il en soit nous sommes toujours là l’une pour l’autre. Il n’y a pas besoin de longs discours ou de témoignages instagrammables.
Parfois, lorsque vous ouvrez la boîte aux lettres il y a des courriers des Impôts, parfois il y a de la publicité et parfois, il y a des surprises inattendues : une enveloppe marron avec une écriture que vous connaissez bien, celle de l’un de vos Mousquetaires.
Parfois vous recevez un long message Whats’app qui vous fait un retour détaillé et argumenté sur votre projet, dans un quotidien de jeune maman cadre.
Parfois, c’est un « tout roule ? » ou une expo suivie d’une longue conversation au soleil et des messages de nouvelles, alors même que vous avez risqué de contaminer – sans le savoir, ne me jetez pas la pierre ! – votre Mousquetaire avant son événement professionnel important.
En y repensant, j’ai la fâcheuse impression que les gens ou choses que je trouve agréables, sympathiques, qui apportent quelque chose à ma vie disparaissent quand je m’en rends compte. Peut-être qu’en l’écrivant, cela figera pour au moins les 16 prochaines années la présence des Mousquetaires dans ma vie. Même si je ne me vois pas vivre sans elles. Mardi, on m’a posé la question fatidique « Où vous voyez-vous dans 5 ans ? ».
Je l’ignorais. J’ai souri parce : il était trop long d’expliquer que ma seule certitude était que les Mousquetaires seraient forcément à portée de voix. Même 2.0.

Quand je pense à plus tard, quand nous serons vraiment vieilles, quand sera arrivée la fin et l’heure des derniers regrets, il y en a un que je n’aurais pas : celui de l’amitié. Parce que je les aurai eu elles, parce que j’aurai essayé d’être là pour elles. On aura été terrassées par les drames, on se sera aidées les unes les autres, on aura été dévastées par les larmes mais nos joies auront éclipsées nos peines. Nous pourrons regarder nos passés en face, je serai fière de mes amitiés, fière de mes Mousquetaires.
Nos amitiés nous sont propres. Elles nous ressemblent et elles sont toutes différentes. Elles sont surtout ce que nous voulons en faire : donner une date de péremption à cette amitié ou en prendre soin de près/de loin ? rester dans un entre-soi ou s’ouvrir à des gens qui élargissent nos zones de confort quitte à passer par des zones de turbulences ? collectionner les amis comme des timbres et saupoudrer son temps libre ou chérir un petit nombre et accorder vraiment son temps ?
Notre fameux bordelais, Michel de Montaigne, a écrit au sujet de son amitié avec Étienne de la Boétie « parce que c’était lui, parce que c’était moi ». Sans être présomptueuse, mais pour le paraphraser, je conclurai juste en écrivant : « parce que c’étaient elles, parce que c’était moi ».
Merci de me montrer ce qui va et ce qui ne va pas, de me faire me sentir mieux, de continuer de m’apprendre à réfléchir avant de foncer, merci pour les séances à la BU avec J la peste, merci pour les « yeux jaunes », merci pour « dans le cul Lulu », merci pour Chalandon, merci pour Cherhal, merci pour les thés infects du campus de Bron, merci d’avoir pris soin de moi à une certaine période en 2004, merci pour les commentaires sur m. Météo, merci pour les TD où on se caillait et les amphis surpeuplés, merci pour les câlins et les fous rires partout et parfois malvenus, merci pour les messages tout le temps, merci pour le poster taille humaine de Riner dans le bureau (je ne me suis jamais sentie si petite), merci pour tout ce qui est passé et ce qu’il nous reste à vire, M-E-R-C-I !
1 Horoscope hyper à propos puisque Orange a effacé ma messagerie vocale y compris certains messages sauvegardés de mes proches dont les deux derniers que m’avaient laissé ma tante avant de partir…. On en parle de la superstition des Poissons ?