Une étude percutante sur « le sexe faible » qui remet les pendules à l’heure.
Ma mère, sa mère (Mamie Géniale) m’ont toujours répété de travailler dur à l’école. Le but ? Une fois adulte, « être indépendante et faire ce dont tu as envie, comme tu as envie ». De fait, ce mantra m’a guidé. Faire des études puis avoir un travail sont devenus des objectifs de vie. Je n’ai jamais imaginé ma vie autrement : avoir mon baccalauréat, aller à l’Université puis avoir un métier. Enfant, je sacralisais ces étapes qui, dans la bouche de ces femmes, semblaient être le Graal. En avançant dans mon parcours, j’ai été confortée dans cette idée car chacune de ces étapes m’apportaient énormément en répondant à ma curiosité et à mon besoin d’apprendre. Bref, les études c’est mon truc.
Hormis le bac (essayez de composer une dissertation de philosophie fenêtres fermées en pleine canicule de 2003 – « on n’a pas eu l’autorisation du Rectorat pour le moment »), le reste a été comme un pari, un jeu, un nouveau défi : cap ou pas cap ?
De faire les études que JE voulais, de postuler un peu au hasard, de choisir entre deux postes, de quitter vraiment famille et amis, etc. C’était aussi un peu (beaucoup) comme aux barres asymétriques : l’impression de se lancer dans le vide, d’être en apnée quelques temps puis, finir l’enchaînement en se réceptionnant sans perdre l’équilibre.
Il y a plusieurs mois, une personne de mon entourage « sportif » m’a expliqué son but dans la vie : « avoir un mec qui a des thunes pour me payer ce que je veux sans bosser » et pourquoi être entretenue était la panacée Non, elle ne faisait pas de 25ème degré. Je suis restée bouche bée. D’autant que j’avais à la main « Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine » de Mona Chollet qui me scotchait à chaque page. Le réflexe de mon interlocutrice ? « Ah non, moi ce genre de bouquins, je peux pas. C’est trop angoissant ». Chacune sa vision de la vie…
A l’heure où Internet et Instagramm nous présentent en continu de nouvelles initiatives de « sororité », de « bienveillance », de « psychologie positive », et autres termes tellement galvaudés et surtout détournés, Mona Chollet étudie ces nouveaux outils de l’aliénation des femmes (par les femmes, aussi malheureusement).
Le résultat ? Une étude sociologique époustouflante, avec un propos construit, argumenté, parfois révolté voire caustique, causticité parfois ultra drôle.
Mona Chollet était sur ma « liste à lire » mais sans titre particulier. Je la connaissais pour ses articles dans le Monde diplo et j’avais suivi son passage à la Grande Librairie pour son ouvrage « Sorcières, la puissance invaincue des femmes« . J’avais envie de la découvrir avec un « vieil » ouvrage qui avait eu bien moins de succès que « Sorcières… ». Au sortir du premier confinement, après avoir vécu comme un matraquage toutes les injonctions « bienveillantes » des réseaux sociaux, j’avais besoin de prendre du recul. A la librairie, en évidence sur une table, le titre m’a percuté. C’est donc avec « Beauté fatale » que je l’ai découverte comme autrice et j’en suis plus que ravie !
Aux hommes l’abstraction, la pensée, le regard, les affaires publiques, le monde extérieur ; aux femmes, le corps, la parure, l’incarnation, le rôle d’objets de regards et de fantasmes, l’espace privé, l’intimité.
Mona CHollet, Beauté fatale.
Inutile de raconter autre chose, « Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine » est une étude sociologique : propos, arguments, démonstrations, exemples sourcés, chiffres vérifiables. A ceci près que Mona Chollet ne se prive pas d’une certaine causticité qui n’enlève rien au sérieux de son discours.
Lire Mona Chollet c’est un peu comme lire les Pinçon-Charlot (plutôt que Durkheim ou Elias) : on en oublie qu’il s’agit d’une restitution de travaux de recherches. Le propos est vif, percutant voire révolté et, partant, révoltant. Mona Chollet nous conduit à reconsidérer des choses que nous avions au mieux éludé, au pire intégré. « Beauté fatale » se dévore, que l’on soit ou non aguerri aux écrits sociologiques. En vulgarisant des thèses élaborées, Mona Chollet met à disposition du plus grand nombre un petit trésor de réflexions. Rien que pour cela, elle mérite une belle reconnaissance !
Nos amies les otaries
« Beauté fatale » s’intéresse à la question de la féminité (et non pas du féminisme, attention) aujourd’hui dans le monde occidental, monde pas vraiment civilisé au regard du traitement réservé aux femmes.
A travers sept chapitres aux noms évocateurs (ma préférence va au 3ème « Le triomphe des otaries. Les prétentions culturelles du complexe mode-beauté » et au 5ème « La fiancée de Frankenstein. Culte du corps ou haine du corps ?« ), Mona Chollet passe en revue les principales méthodes utilisées aujourd’hui pour nous réduire à rien.
Certes, nous avons obtenu le droit de vote et le droit d’avoir un compte en banque personnel (c’est-à-dire sans autorisation d’une figure masculine). Pour autant, sommes-nous réellement indépendantes ? Sommes-nous sorties définitivement du modèle éculé de la femme soumise façon « pose ton cerveau et tais-toi » ? Pas sûre. En nous matraquant d’articles aux titres péremptoires « Les XX pièces à acheter ce printemps », « Le dressing pour ressembler à tel personnage de telle série », « les YY choses à faire pour… », la presse dite féminine ne fait que nous enfermer dans un modèle. Celui de l’otarie. Otarie d’autant plus stupide qu’elle finance grassement son persécuteur en achetant les produits objets de publicités. Les femmes souffriraient-elles à grande échelle du syndrome de Stockholm, attirées par leurs bourreaux et les défendant inlassablement ? Ou sommes-nous seulement des gourd… otaries ?
De son côté, la presse féminine serait-elle victime par procuration du syndrome de Münchhausen, décriant les abus et autres pressions dont sont victimes les femmes tout en se faisant le chantre de ces pressions avec des articles toujours plus péremptoires ?
Le complexe mode-beauté profite de nos failles, des blessures inculquées dès le plus jeune âge, pour prospérer. Le luxe n’est pas en reste : comprenant que le désir impulse l’achat, les marques (et je ne parlerais pas de la vaste blague qu’est Dubaï, je vous laisse écouter les propos de Pierre Conesa à ce sujet) font jouer leur rôle aux « influenceuses », quitte à frôler le ridicule. Il en va ainsi d’une certaine Garance Doré (je plaide mon inculture, désolée) et de son commentaire sur son sac à main :
« La blogueuse mode Garance Doré délire sur son nouveau sac – faisant au passage une publicité éhontée à la marque de luxe qui le commercialise – : « Oui, j’avoue, J’AVOUE !!! Il y a encore quelques trucs matériels en ce bas monde qui me rendent complètement hystérique. La plupart du temps je ne suis qu’intellect et érudition (sic), mais parfois, oh, PARFOIS !!! Certains objets m’intoxiquent littéralement. Elle détaille … « . (J’avais d’ailleurs lu « elle déraille »).
Moi aussi j’aime les sacs : les petits pour sortir ou les grands pour voyager/aller au bureau et emmener ordi, livre, etc. Mais de là à être hystérique pour un sac et vouloir dormir à l’intérieur… je reste sans voix.
Les « it » ces mythes de l’ère 3.0, tissus de mensonges ?
Mona Chollet démonte aussi les principes de cette association industrie du luxe-presse qui créée des it à tout-va : it-girls, it-bags, it-shoes, etc. Quitte à ce que ces « it » aient une durée de vie limitée à quelques clics ou likes, alors que chacun de ces « it » est censé être le produit absolu, le plus parfait, le plus emblématique, le plus mythique. Bref, comment un produit mythique pourrait-il avoir une obsolescence programmée si rapide ? Mythe, mythologie. Il est vrai que les mythes (Hercule, Ariane, Thésée et les autres) nous semblent aujourd’hui cousus de fil blanc, du « fake » en quelque sorte. Et puis, emblématique de quoi ? D’une génération d’otaries ? D’hystériques qui confondent sac à main et sac de couchage ? Mythique pour qui ?
Les magazines travaillent avec constance à modeler les comportements féminins sur les desiderata supposés de la gent masculine, à travers d’innombrables articles sur ce que les hommes pensent, aiment, détestent, sur ce qui les rend fous, sur ce qui les dégoûte irrémédiablement.
MOna CHOLLET, Beauté fatale.
Pour Mona Chollet, le it-bag se trouve finalement être un marqueur social, la brave otarie a réalisé à ce qu’on attendait d’elle : se plier aux codes consuméristes d’une certaine féminité « clinquante, boursouflée, vulgaire » en dépensant une somme rondelette. Pire, le it-bag ne serait finalement que l’équivalent féminin du symbole phallique que sont les grosses cylindrées pour nos amis les hommes… Vous avouerez que le mythe en prend un sacré coup ! De là à corréler it-bag et lèvres clinquantes de botox, boursouflées et vulgaires de certaines, il n’y a qu’un (petit) pas. Mais, ne mettons pas tout le monde dans le même…sac !
Avec beaucoup d’intelligence, d’ironie et de finesse, Mona Chollet déconstruit les rouages du complexe marketing-industrie du luxe-presse. Les femmes seraient, pour certaines, des victimes presque consentantes : pas complètement dupes du jeu qui se joue, elles consentiraient néanmoins au rôle qu’on leur prête. Quant aux autres…
Et les otaries alors ?
Au fil des pages de « Beauté fatale », je me suis demandée ce que pourrait penser une beauté fatale ou, tout du moins, une belle femme mais aussi une mère de famille à la lecture de cet ouvrage. Est-ce que des « otaries » (oui, j’adore cette métaphore) se réveilleraient ? Sauteraient-elles loin du cerceau pour une fois ? Et si, au lieu de jongler docilement avec, elles renvoyaient en pleine figure la baballe que leur lance l’Homme ? L’armée de journalistes d’Elle, et plus globalement de la presse « féminine » ont-elles pris conscience de la fatuité et/ou de la vacuité de leurs propos ?
L’homme est un créateur, la femme est une créature : cette division des rôles a des racines très anciennes.
Mona CHOLLET, Beauté fatale
Cet ouvrage m’a enchanté. J’espérais que Mona Chollet l’autrice serait fidèle aux propos de Mona Chollet la journaliste. J’ai été comblée. Relire un essai de sociologie m’a rappelé mes premières amours universitaires et à quel point la discipline me manque. Dérangeante, éclairante, fascinante. En dressant le portrait d’une époque, d’une classe ou d’un phénomène, la sociologie conduit le lecteur à s’interroger quant à son propre positionnement face au sujet d’étude. La sociologie (ré)ouvre de nouvelles perspectives. On peut cependant ne pas être d’accord avec tout ou partie de la thèse de l’auteur. Mais dans ce cas, on cherchera les failles du raisonnement ou des contre-exemples. De quoi activer l’intellect (comme dirait Garance Doré). ?
Mona Chollet argumente, appuie son propos avec des références venues du monde entier. De quoi allonger considérablement votre pile à lire… Citant tour à tour des articles de presse, des séries, des réseaux sociaux ou encore des études scientifiques, elle démontre la pertinence de sa thèse sans jamais lasser.
J’ai adoré cet essai. Certaines choses étaient évidentes comme ces titres d’articles de presse féminine qui me font bouillir et que je comprends ainsi : « braves courges, qui êtes trop stupides pour réfléchir par vous-même, écoutez plutôt notre sermon sponsorisé par Truc ou Muche qui va vous faire sentir bien moche/grosse/pauvre car vous ne correspondez pas au modèle que nous vantons et accessoirement, vous ne pouvez pas vous offrir ce dont il est question (le it-bag pour être sooooo coooool, the place to be pour être sooooooooooooo innnnnnnnnnnnnn, etc) ».
J’ai ri, mais ri, en lisant les propos d’une blogueuse, apparemment célèbre, que je découvrais ici. Pour vivre de leur modèle économique, certaines de ces personnes sont vraiment prêtes à tout ! Ça m’a d’ailleurs rappelé une interview, toujours passionnante, de Pierre Conesa par Thinkerview. L’ancien haut fonctionnaire expliquait que la stratégie de communication des Emirats Arabes Unis, Dubaï en tête, consistait principalement en la rétribution de people occidentaux pour leur installation sur leur territoire et leurs commentaires élogieux sur les réseaux sociaux.
Une recherche rapide sur Instagram tend à confirmer cette thèse : salaire = propos vide et manipulé. Ces people installés à Dubaï n’ont de cesse de se prendre en photo lors de couchers de soleil, dans le désert/en bord de mer, en plein shopping ou dans des résidences flamboyantes. A croire qu’à Dubaï, tout n’est que smoothies et loisirs… Là encore, on nous prend vraiment pour des otaries.
A la naissance de ma nièce, je lui avais offert « Une chambre à soi » de Virginia Woolf dans la traduction de Marie Darrieussecq. Nul doute que pour ses 5 ans, je lui offrirai « Beautés fatales » !
Mona Chollet a trouvé sa place dans la liste de mes prochains achats « livresques », et ce sera pour « Chez soi, une odyssée de l’espace domestique« .
Curieusement, j’ai écrit ces lignes en écoutant Modern Love sur France Inter : l’invitée d’alors de Nadia Daam (oui, je publie avec beaucoup de retard…) ? Florence Dupré la Tour pour une émission sur le thème « L’enfance et l’adolescence des femmes« . Décidément, il n’y a pas de hasard… Édifiant ! Vous pourrez trouver l’enregistrement ici.
Type : Poche
Genre : Essai
Editeur : La Découverte
Prix : 10€
256 pages
Disponible ici
