Âme de sorcière ou la magie du féminin, Odile Chabrillac. Le livre qui prétend révéler une féminité libre, puissante et bienveillante

A force de lire ou d’entendre le nom d’Odile Chabrillac chez certains yogini suivis sur Instagram, j’ai voulu en savoir plus.

En apercevant son ouvrage à la librairie, je me suis laissée tenter. « Âme de sorcière ou la magie du féminin. Pour expérimenter une féminité libre, puissante et bienveillante » : vaste programme.
La sorcière. Thème qui a le vent en poupe depuis quelques années, même s’il tend à s’essouffler dernièrement.
L’association tellement galvaudée des termes « féminité » et « bienveillante » m’a heurté : allais-je encore avoir affaire à de la bien-pensance, qui sous couvert de défendre une cause, intimait des ordres sur « comment » être ? Le genre d’ouvrage dont se repait la presse dite féminine et qui vous fait culpabiliser de ne pas savoir tendre l’autre joue après une bonne gifle ? Ou serait-ce un essai commercialo-perché qui encouragerait surtout les lectrices à suivre les stages et autres manifestations de l’autrice pour « expérimenter une féminité libre, puissante et bienveillante » ?

Âme de sorcière ou la magie du féminin relève plus du manuel que de l’essai. Pour une approche plus empirique du féminisme et de la sororité, je préfère les écrits de Mona Chollet ou Chloé Delaume par exemple : plus scientifiques car les arguments s’appuient sur des exemples et démonstrations, plus littéraires aussi car ils font référence (in)directement à de nombreux écrits et thèses. O. Chabrillac emprunte d’ailleurs une citation de l’article « Femmes, magie et politique, de Starhawk. Quitter la terre ferme des certitudes » de Mona Chollet (et non signalée comme telle dans l’édition Pocket) :

« Ce sont ces flux d’énergie, cette force qui lie tous les éléments du monde – le prana hindou, le qi chinois, le mana hawaïen -, que les sorcières apprennent à célébrer et à manier, inventant de nouvelles formes de rituels ».

Femmes, magie et politique, de Starhawk. Quitter la terre ferme des certitudes, Mona Chollet cité non sourcé par O. Chabrillac.

Le manuel d’O. Chabrillac court sur 22 chapitres ; la troisième partie n’est pas chapitrée mais c’est tout comme puisque chaque sous-partie est numérotée, titrée et compte des sous-sous-parties elles aussi titrées et numérotées). Le sujet étant aussi ardu que surprenant, lire les parties ou sous-parties dans le désordre me paraît difficile. Car il est effectivement question de sorcières et de magie (blanche hein, ne comptez pas trouver ici un sortilège pour transformer votre ex crush en ver de terre !).

L’autrice commence par établir un portrait-type des sorcières à travers un historique. Cette partie m’a paru très intéressante : ainsi, je n’avais jamais fait le lien entre les « sorcières » brûlées par l’Inquisition et la question de la propriété terrienne, ni entre la dépossession de la médecine pour les femmes et l’hégémonie d’une médecine « conventionnelle » plutôt masculine.

« Elles [les sorcières] ne sont pas là pour être aimées, elles sont là pour interroger, pour affirmer, pour rire, pour vivre et pour jouir. Dire « oui » lorsqu’elles ont envie et « non » quand elles le pensent aussi.

Odile CHABRILLAC

Par contre, je suis tombée de ma chaise en lisant dans le propos introductif : « Elles [les sorcières] ne sont pas là pour être aimées, elles sont là pour interroger, pour affirmer, pour rire, pour vivre et pour jouir. Dire « oui » lorsqu’elles ont envie et « non » quand elles le pensent aussi. Insoumises, dérangeantes, incandescentes, loin du folklore et des clichés (sic), elles sont porteuses d’un savoir riche et multiple, dont on fait les tabous car il dérange et bouscule tout« .
Cette description correspond à bon nombre de femmes dans mon entourage. Ma mère et ma grand-mère m’ont toujours répété que l’indépendance et la liberté étaient des trésors à chérir. Elles m’ont transmis la conviction que vivre c’était interroger, remettre en question, apprendre, affirmer, rire, vivre et jouir, dire « oui » ou « non » selon mes envies. Ou « oui mais non », mais c’est une autre histoire.
Pour autant suis-je une sorcière ? Les femmes auxquelles je pense le sont-elles ? Non, aucune d’elle ne se voit ainsi. Et pourtant elles savent les plantes et la nature, les pierres et les planètes, elles savent le corps et les émotions, elles savent ôter le feu des brûlures et apaiser les larmes.

La deuxième partie d’Âme de sorcière, largement basée sur les expériences personnelles de l’autrice, m’a tantôt fait hurler, tantôt atterrée. « Il s’agit d’être au monde d’une manière qui fait sens pour soi (et même si c’est uniquement pour soi), en assumant les conséquences de ses actes avec sérénité […] la liberté c’est paradoxalement d’accepter de ne pas savoir ce qui va se passer. C’est reprendre le chemin des écoliers tout en se laissant initier par la vie« . L’autrice poursuit plus loin : « il faut du courage pour être libre […] le courage d’être soi, de ne pas se couler dans le moule, d’assumer sa différence, d’oser avancer sur un chemin si peu fréquenté soit-il, le sien« . Est-ce qu’aujourd’hui, une mère célibataire qui trime 12h par jour (sans compter les tâches ménagères) peut « être au monde d’une manière qui fait sens pour [elle] » ? Est-ce qu’une femme en situation de précarité peut « être au monde d’une manière qui fait sens pour [elle] » ?
Ces femmes aimeraient certainement cela, faire ce que bon leur semble et vivre en accord avec leurs principes/idéaux/ressentis. Mais en ont-elles le choix, si ce n’est la possibilité ? Dans une société où la marginalité est vue comme un handicap, quand élever un enfant nécessite de pourvoir à des frais de plus en plus dispendieux, cela semble compliqué non ? Bien sûr, une femme nantie, disposant de ressources financières et matérielles suffisantes, d’un « réseau » ne se posera pas les mêmes questions.

Là, est le point qui a cristallisé le plus mes crispations lors de la lecture d’Âme de sorcière ou la magie du féminin : cet essai est destiné à une catégorie de femmes, celles qui n’ont pas à se préoccuper de comment payer des factures et/ou assurer leur subsistance, à elle et leur famille.
J’ai repensé à ces mères de famille croisées dans mon ancienne vie : celles qui ne répondaient pas aux appels car elles ne pouvaient plus payer la cantine, celles qui demandaient à venir manger à la cantine avec leurs aîné(e)s « même après le service, même les restes » parce que ce serait leur seul repas chaud de la journée, celles qui travaillaient de jour en tant « qu’hôtesse de caisse » dans un hypermarché et faisaient des ménages la nuit. Non, madame Chabrillac, ces femmes n’ont pas la possibilité d' »être au monde d’une manière qui fait sens pour [elles] ». Elles doivent se contenter de survivre chaque jour. Et pourtant, ne sont-elles pas celles qui ont du courage, courage de vivre, courage de se battre chaque jour ?

Dans sa conclusion générale, Odile Chabrillac indique être « tombée amoureuse de son sujet« . On perçoit très bien cette passion obsessionnelle tant dans la construction que dans les éléments de langage utilisés ; ne se revendique-t-elle pas elle-même « apprentie sorcière » ?
Odile Chabrillac est naturopathe, thérapeute psychanalytique et journaliste. D’une manière globale, elle a donc acquis une légitimité, renforcée par un certain nombre de yogini et de néo-gourous du New Age qui ne cessent de la plébisciter. Cela dit, certains de ses propos me paraissent souvent (trop) extrêmes ou évasifs (« on sait que », « des études montrent que », etc.).
Par exemple, j’adhère à sa théorie sur la solitude : « lorsque l’on accepte de s’immerger en soi, de rentrer dans sa grotte intérieure, il se passe quelque chose. La peur se dissout. L’on change de paradigme pour avoir accès à une nouvelle connaissance : accueillir le monde, l’observer, le goûter…[…] Avancer sans s’inquiéter. Là où le désir nous mène. Juste là où l’on a envie. Sans se soucier des autres, en tout cas pas dans le sens de ce qu’ils peuvent bien penser. Ma vie m’appartient. Notre vie nous appartient« . Certes, la solitude peut parfois s’apparenter à une froide et morne zone. Quand on a appris à respirer, quand on a compris que ce temps au lieu d’être subi peut être choisi, alors la solitude devient une joie. En effet, le retour au monde sera plein d’une nouvelle énergie positive, solaire. Il y a encore quelques années, rechercher la solitude voire en ressentir le « besoin » me déstabilisait et me rendait un peu honteuse. Comment pouvait-on adorer vivre à 100 000 volts, toujours en mouvements, être en permanence entourée et avoir cette nécessité de passer du temps absolument seule ? Et pire, apprécier ces moments ?
Ce sont mes professeurs de yin yoga qui m’ont appris l’impermanence de la solitude et que cette « immobilité sociale » peut me permettre de mieux me comprendre, mieux m’accepter.

Globalement, j’ai eu l’impression que le propos sous-jacent d’Âme de sorcière ou la magie du féminin était la publicité déguisée pour les cercles, formations, consultations et autres qu’organise l’autrice. Je ne rejette pas l’argent ni l’abondance ni quoi que ce soit du même acabit. Si le business de l’autrice procure du réconfort et du bien-être à des personnes, c’est tant mieux pour elle(s). Mais ce caractère auto-promotionnel m’a gêné.

Idem pour la troisième partie du livre qui m’a semblé longue et ennuyeuse. Tout cet ésotérisme m’a déplu. Je n’ai pas compris le développement des arcanes du Tarot alors que d’autres aspects étaient très superficiellement traités. Quant à la métaphore de la poule pondeuse et du cochon pour illustrer l’implication et le sacrifice, elle m’a paru plus que déplacée.
Bien qu’elle s’en défende, l’autrice glisse souvent vers le folklore et l’à peu-près. Se réapproprier notre corps dans toutes ses dimensions (corps physique, sexualité, féminité, esprit/mental), développer notre intuition, être alignées, sont autant d’évidences vitales pour moi. Ces aspects sont sûrement communs aux sorcières, mais attention aux sophismes…

Enfin, je suis très partagée sur le sujet même du livre, la sorcière. Dans notre société, une femme est vite cataloguée : hystéro, pute, castratrice, carriériste, coincée, pondeuse, etc. Je ne parlerai même pas de « féministe » qui ressemble souvent à la synthèse des 3 voire 4 premiers adjectifs cités supra. A l’heure où il faut se battre pour s’affranchir de ces étiquettes, où la parité reste une sacrée blague, où il est arrivé à chacune d’entre nous de devoir ne serait-ce que sourire à une blague misogyne, est-il opportun de se revendiquer sorcière ? N’est-ce pas « donner le bâton pour se faire battre » comme dirait Mamie Géniale ? N’est-ce pas décrédibiliser la Femme ? Si je trouve très bien que les gens puissent revendiquer leurs différence par rapport à la norme, je me demande tout de même si, comme le spirituel, l’ésotérisme ne devrait pas relever de la seule sphère privée ?

Alors qu’elle écrit dans son avant-propos « Se taire ne signifie pas oublier. Au contraire« , Odile Chabrillac fait finalement preuve ici d’un féminisme conciliant. Je veux dire par là que si les hommes sont quelques fois cités dans le texte, ce n’est jamais dans une approche vengeresse ou vindicative.
L’idée me paraît plutôt être la suivante : si nous regagnons la place qui doit être la nôtre dans la société, si nous pouvons vivre comme nous l’entendons, nous serons à même de vivre sereinement. Avec la nature, avec notre quotidien, avec notre héritage. Mais surtout avec les hommes. Si vivre en bonne intelligence avec les hommes signifie ne plus être entravée dans des a-priori patriarcaux obsolètes, cela ne signifie pas non plus vouloir imposer un matriarcat et faire subir aux hommes ce que nos mères et nos sœurs ont subi pendant des siècles. Retenons les leçons du passé et avançons. Oui, parfois la colère peut être moteur. Mais. Non, ce ne peut être un état permanent.
Débarrassées du fardeau des concepts de colère, de haine, de vengeance, nous serons plus disponibles physiquement et mentalement pour mettre en place ce qui nous tient à cœur.

Pour un premier aperçu de la Sorcière à travers les âges, ce manuel est très bien (parties 1, quelques éléments de la partie 2). Pour des clefs d’initiation à l’ésotérisme, cet essai est sûrement adapté (partie 3). Globalement je n’ai pas été transcendée quand bien même des éléments pris individuellement m’ont plu. Je ne relirai pas Odile Chabrillac.

Dispo ici
Type : Poche
Genre : Essai
Editeur : Pocket
Prix : 6,95€
282 pages

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